Interview croisée de Claudine Monteil et Julie Marangé : une sororité Intergénérationnelle au service du féminisme !

26 septembre 2024

Deux militantes féministes issues de générations différentes, Claudine Monteil et Julie Marangé, se rencontrent et partagent leur engagement commun pour les droits des femmes. Claudine Monteil, écrivaine féminisme militant aux cotés de Simone de Beauvoir, retrace son parcours et témoigne de sa volonté de transmettre le flambeau aux jeunes générations. À ses côtés, Julie Marangé, fondatrice de "Feminists in the City", revient sur l'impact positif de la sororité intergénérationnelle dans le déploiement de son initiative consistant à redonner vie à des figures féministes oubliées.

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  • Julie, pouvez-vous présenter Claudine Monteil ?

« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

C’est en ces termes que Simone de Beauvoir s’adressa à Claudine lors d’une manifestation féministe en 1974. Claudine était alors la plus jeune signataire du Manifeste des 343 femmes qui ont, en 1971, eu le courage d’annoncer qu’elles avaient subi un avortement.

Féministe engagée depuis la naissance du Mouvement de Libération des Femmes, Claudine Monteil est aujourd’hui autrice d’une multitude d’œuvres qui témoignent de l’histoire de Simone de Beauvoir, aux côtés de laquelle elle a milité pendant seize années, jusqu’à sa disparition en1986. On notera en particulier ses ouvrages traduits en plusieurs langues, »Les Amants de la Liberté, Sartre et Beauvoir dans le siècle » (Calmann-Lévy /Éditions 1), « Les Sœurs Beauvoir »(Calmann-Lévy/Éditions 1) et « Simone de Beauvoir et les femmes aujourd’hui » (Éditions Odile Jacob). Claudine accompagne Feminists in the City dans toutes ses initiatives.

  • Claudine, pouvez-vous présenter Julie Marangé ?

Julie Marangé est une jeune féministe pétillante qui a fondé Feminists in the City pour mettre en lumière les femmes remarquables oubliées grâce à des visites guidées passionnantes, des masterclasses et des formations. Elle permet aux femmes de vivre une expérience de prise de consciences féministe. Grâce à son travail les femmes se sentent devenir puissantes, peuvent avoir un impact sur leur entourage, trouver les outils pour penser leur domination, se sentir moins seules et plus intégrées dans leur parcours féministe. Julie Marangé fait des présentations en français et aussi en anglais ce qui donne une ouverture Internationale au féminisme français très bienvenu.

Par ailleurs, à l’association Femmes Monde dont je suis présidente, nous avons, à l’unanimité, demandé à Julie d’être l’une de nos deux vice-présidentes. Ainsi dans l’association où nous organisons des rencontres mensuelles avec des femmes qui agissent dans le monde, Julie Marangé nous apporte énormément par son regard, son action, son dynamisme de jeune féministe très engagée. Nous pouvons ainsi agir dans l’esprit intergénérationnel auquel je tiens beaucoup.

Le vrai féminisme se doit d’être intergénérationnel, c’est ainsi qu’il est le plus fort. Ce qui est magnifique pour ce qui me concerne, c’est qu’alors que je suis engagée pour les droits des femmes en France depuis plus de cinquante-cinq ans (je vais avoir 75 ans cette année) avec les actions de Julie j’ai tout le temps l’impression d’apprendre, bref j’ai l’impression d’avoir toujours vingt ans, et je ressens avec un immense bonheur l’énergie féministe que Julie me transmet, comme elle le fait magnifiquement aux autres. Grâce à Julie, je vis une deuxième jeunesse féministe !

  • Comment s’est passée votre rencontre ?
  • Claudine Monteil :

Parce que j’aime apprendre, et que je fais confiance en la jeunesse comme Simone de Beauvoir m’a fait confiance, j’ai voulu aller suivre une visite organisée par Julie dans Paris. Et là j’ai passé un moment passionnant, revigorant, et Julie de son côté a compris que j’étais une féministe des années 1970, et que peut-être nous avions des expériences, et même des objectifs à partager. Ce n’est pas parce que j’ai 74 ans, bientôt 75, que je m’arrête de militer. Au contraire. Nous sommes de nombreuses féministes de ma génération à être encore très engagées et très actives dans des associations. Nous sommes les panthères grises du féminisme, encore très panthères !

  • Julie Marangé :

Claudine assistait à une visite guidée féministe que j’animais dans Paris. Elle s’est présentée et a ajouté pendant la visite des informations passionnantes sur l’histoire des femmes et de leurs droits. J’ai été emportée par ses histoires époustouflantes aux côtés de Simone de Beauvoir, par sa sororité inconditionnelle, par sa force et sa résilience féministe. Quelques semaines plus tard, je lui proposais de devenir la Marraine de Feminists in the City pour célébrer cette sororité intergénérationnelle.

Claudine Monteil et Julie Marangé

  • Claudine, qu’est-ce qui vous a plu dans la démarche, le projet de Julie ?

Une ouverture sur le monde des femmes, à la fois historique et d’aujourd’hui, un dynamisme qui m’a beaucoup plu. L’histoire des femmes est à redécouvrir, comme si nous étions sur la piste des femmes volontairement effacées de la mémoire par la puissance des hommes. Et voilà que Julie a voulu les ressusciter de manière vivante, tonique, stimulante et même enthousiasmante.

Tout de suite cela m’a semblé une démarche essentielle pour que les jeunes femmes se sentent stimulées, portées, soutenues. Tout ce dont nous avions manqué dans ma jeunesse. Simone de Beauvoir m’a toujours apporté son soutien et sa confiance ainsi qu’à toutes les jeunes féministes des années 1970 alors que je n’avais que vingt ans. Ensemble nous avons réussi à changer les droits des femmes françaises !

Parce que le féminisme est un formidable engagement, et pour moi un engagement à vie, aujourd’hui c’est à mon tour de soutenir les jeunes féministes, en particulier Julie et les jeunes Feminists in the City. Je lui dis que vous, les petites-filles et arrière-petites-filles de Simone de Beauvoir, vous allez dépasser nos rêves ! D’ailleurs, c’est déjà le cas avec l’inscription le 8 mars 2024 du droit à l’Interruption Volontaire de Grossesse dans la Constitution où j’ai été invitée à être aux côtés du président de la République et du Garde des Sceaux lors de l’inscription, au titre d’être la plus jeune signataire du Manifeste des 343 en 1971 et d’avoir milité des années durant avec Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi.

Cela aussi m’a permis de rappeler aux jeunes féministes le propos que Simone de Beauvoir m’a tenu lorsqu’en 1974, à l’âge de vingt-quatre ans, je lui déclarai, pleine d’enthousiasme après quatre années de combat féministe

« Simone, nous avons gagné ! – Oui, Claudine, mais temporairement, il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que nos droits soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez demeurer vigilante » je le répète systématiquement aux jeunes générations de féministes, tant cela s’est révélé vrai ».

  • Julie, que vous apporte cette collaboration avec Claudine ?

Une sororité intergénérationnelle et un soutien inconditionnel si précieux. Sans Claudine, j’aurais probablement baissé les bras et arrêté Feminists in the City depuis longtemps.

  • Vous formez un duo inspirant, positif qui raconte une histoire intergénérationnelle du féminisme. Il faudrait plus de tandems comme le vôtre. Qu’en pensez-vous ? Comment encourager la transmission ?
  • Claudine Monteil :

La grande force du mouvement féministe des années 1970 a été ce combat ensemble de plusieurs générations de féministes ensemble. Aujourd’hui encore, cela me semble nécessaire, une force incroyable pour le mouvement féministe. Mon bonheur, c’est de voir Julie et les autres jeunes femmes autour d’elle dépasser nos objectifs de ces dernières décennies, dépasser nos rêves, et songer à des sujets et objectifs auxquels nous ne pensions même pas.

Pour encourager la transmission, il est important que les féministes investissent plus encore les réseaux sociaux, avec aussi des féministes plus âgées : Julie fait un travail remarquable sur Instagram par exemple, TikTok me semble très important pour toucher les jeunes, enfin écrire sur LinkedIn ce que Julie et moi faisons, et ne pas négliger ex-Twitter, même si ce site a moins bonne réputation, c’est un site où journalistes, militantes et politiques interviennent, et permettent de faire pression sur le pouvoir.

Cela demande que la jeunesse ne méprise pas les vieilles générations et ne les considère pas comme des ringardes car entre nous nous représentons une force décuplée. Pour ma part, mon âge certain ne m’empêche pas d’avoir un immense plaisir à découvrir les actions des jeunes féministes, à les soutenir, et à les conseiller si elles le souhaitent. En travaillant ensemble, la jeune génération mesure peut-être que le féminisme est un engagement à vie, et j’ajouterai, pour les encourager, en conclusion : le féminisme, c’est dévorer la vie !

  • Julie Marangé :

Claudine a raison : il est nécessaire de travailler ensemble entre générations et de nous concentrer sur ce que nous avons en commun entre féministes de différentes générations plutôt que sur ce qui nous divise. C’est comme cela qu’on avance puissamment. La sororité est une arme infaillible contre le patriarcat : utilisons ses ressources, car c’est en apprenant des générations passées que nous ferons rayonner l’égalité dans le futur plus brillamment.

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